Lettre 70 Weisi 6 décembre 1936

Weisi le 6. XII. 1936.

 

Mes chers,

Assis tout seul dans ma chambre, je pense à vous. Ici, c'est l'après-midi, et vous, vous déjeûnez [...].

Le riz, les pois sont au grenier. Il n'y a plus rien sur la terre que des chaumes et des troupeaux de porcs et de mulets qui les mangent. La neige n'est pas encore venue. Elle viendra, mais le soleil la fond en un jour. Maman, comme tu serais bien ici ! Le jour, la température monte jusqu'à 45-50 degrés 72 ; elle descend, la nuit, jusqu'à moins dix ou douze, dans quelques jours, du moins. Bientôt, nous commencerons le chauffage. Cela consiste à mettre des braises dans une cuvette de fer, et à mettre les pieds sur le bord de la cuvette. Ces nuits, les loups viennent hurler tout près de la Mission. De temps à autre, ils prennent des cochons. Un de ces jours, je veux aller à leur rencontre car je n'en ai point encore vus. Notre vache n'a plus que deux verres de lait par jour. Comment faut-il faire, pour qu'il y en ait pour tous et que tous en aient assez? Pour moi, ça ne me gêne pas du tout. J'ai trouvé ici un mets qui me convient : c'est du fromage de haricots. On moud les haricots, on en fait une pâte claire que l'on cuit à petit feu. C'est tout à fait du vacherin, mais ce vacherin a tout à fait le goût du lait brûlé. C'est nourrissant, digestif et tonique. Nous avons aussi des poires assez bonnes quand elles sont bien cuites. Il y en a de grosses comme nos petites betteraves, très juteuses et peu sucrées. Nous sommes en train de faire les foins en ajoutant de la paille de riz. Notez le menu de nos bêtes: lère ration, foin­paille de riz; 2ème ration, regain-paille de riz ; 3ème ration, paille ou marais-paille de riz. Et avec cela, plus un peu de farine, notre vache sue la graisse. Ah ! si Darbellay savait ça!

Nous avons aussi du cidre. Je préfère le thé: question d'être Chinois. Ce thé est itze73 et se boit sans sucre. Nous nous défendons glorieusement contre les poux, mais nous sommes battus par les puces. Le cuisinier n'a pas encore changé la formule de sa soupe: il invente pourtant de plus en plus. Il fait le rôti et la sauce avec les pommes de terre et nous sert la viande cuite à l'eau. Nous avons deux chats : ce sont eux qui dégustent la viande qu'il faut préparer. Nous avons aussi des poules et des oeufs. Frère Nestor a vu comment il cuisait les œufs, pourtant à la coque,... maintenant, il n'en prend plus.

Les plus malins ne vont pas voir. Enfin, d'autres une autre fois.

Mes chers, tout mon cœur est à vous. Tout va bien. [...]

Maurice, [...] ça se prononce: go ngai gui-mên tè hèn ; ça signifie : moi-aime-vous-beaucoup.

Quelle langue, ce chinois !

 

72  Il est ici question de la température au soleil. Les maxima et minima indiqués sont à entendre du cours de l'année, et non d'un même jour. 
73  Amer.

 

 

 

Voici quelques photos. Dites-moi si vous les avez reçues. Envoyez à tante celle que je lui ai destinée.